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Cette obligation serait, selon cette thèse, la conséquence de l’obligation de délivrance à laquelle sont tenus tous les bailleurs, laquelle résulterait de l’article 1719 du Code Civil ainsi rédigé :
Article 1719 du Code Civil :
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D’assurer également la permanence et la qualité des plantations. »
Le bailleur de centre commercial devrait faire en sorte que les locaux qui le composent soient non seulement en état de servir à l’usage pour lequel ils ont été loués, ce qui inclut les parties communes qui en constituent l’accessoire nécessaire.
Mais bien plus, le centre commercial devrait être pleinement occupé par des occupants ou locataires faute de quoi le bailleur n’aurait pas rempli son obligation et devrait dès lors en répondre à l’égard du preneur.
On admettra en effet qu’un commerce de centre commercial est difficilement comparable à un simple commerce de pied d’immeuble. En effet, les centres commerciaux, ont pour vocation de concentrer un nombre important et diversifié de commerces et de proposer un panel de services variés (places de parking, escalators, accueil central, service de livraison, système data etc.).
Cet ensemble de commerces organisés au sein d’un même centre constitue indéniablement une unité autonome de marché.
Ces commerces, souvent regroupés sous une marque appartenant au bailleur, bénéficient de la synergie commerciale résultant à la fois de la promotion et de l’animation organisée par le bailleur, mais aussi du regroupement d’enseignes attractives permettant ensemble d’attirer un fort flux de chalands.
Parfois, cependant le pari économique fait conjointement par le bailleur et le preneur quant à la réussite du centre commercial, n’est pas au rendez-vous.
Le centre commercial se vide peu à peu de ses occupants et le nombre de trous noirs se multiplient.
C’est dans ce contexte que les juridictions ont eu à se prononcer sur les responsabilités des bailleurs en cas d’absence de maintien d’un environnement commercial favorable.
I. Une position de principe de la Cour de Cassation
Depuis toujours, il est admis que les bailleurs de galeries marchandes ou de centres commerciaux ont une obligation de moyen (et non de résultat) quant au maintien d’une commercialité favorable au sein de ceux-ci (Cass. Civ. 3e, 1er mars 1977, société au Bon Marché c/ Sci de la Région Parisienne ; CA Paris 16e ch., 23 février 1993, Sa Scmu c/ Sarl Gloria Industry Project : loyers et copro. 1993 comm. 223).
En d’autres termes, les bailleurs ont pour seule obligation de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour recommercialiser les locaux devenus vacants, sans avoir par ailleurs aucune obligation d’y parvenir effectivement.
Cette position a de nouveau été confirmée par la Cour de Cassation aux termes de deux arrêts récents :
a) Arrêt du 26 mai 2016
La Haute Cour a reconnu une obligation de moyens et non de résultat incombant aux bailleurs de centres commerciaux ou de galeries marchandes, de sorte qu’ils doivent justifier qu’ils « mettent en œuvre les actions nécessaires à la recherche de nouveaux locataires pour les locaux vacants, […] et engagé dans un délai raisonnable […] un projet de restructuration du centre destiné à offrir aux commerçants un cadre totalement rénové » (Cass. Civ. 3ème 26 mai 2016, n°15-11307 Sté LAUCYL c/ CC CHELLES 2)
b) Arrêt du 11 avril 2019
La Cour de cassation précise qu’à défaut de stipulation particulière, le bailleur n’est pas tenu d’une obligation de garantir la commercialité de la galerie marchande (Cass. civ. 3e, 11 avril 2019, n° 18-12076).
Pour autant, les tribunaux et Cours d’appel semblaient vouloir résister à cette jurisprudence pourtant ancienne et constante.
Il semble à présent que les Cours d’appel se soient ralliées à la position de principe de la Cour de Cassation, et ce, à la lumière de cinq arrêts récents.
II. Les positions contemporaines des Cours d’appel
a) Versailles
Par un arrêt particulièrement bien motivé, la Cour d’appel de Versailles rappelle les principes essentiels régissant les rapports entre bailleurs de centres commerciaux et preneurs : «le bailleur de locaux dans un centre commercial est tenu comme tout bailleur, en vertu de l’article 1719 du Code civil, d’une obligation de délivrance, d’entretien et de jouissance des locaux loués mais il n’est pas garant de l’environnement commercial des locaux loués à défaut de stipulation particulière dans le bail […] la Cour constate, à la lumière des photographies prises par l’huissier de justice, que les parties communes, et en particulier les allées, accessoires nécessaires à la chose louée, sont en très bon état d’entretien, ce qui constitue un facteur d’attractivité des lieux et démontre que le bailleur respecte l’obligation d’entretien mise à sa charge pour favoriser la commercialité du centre […].
Le bailleur n’est pas garant des résultats commerciaux du preneur en l’absence de toute stipulation contractuelle […]. Il doit être rappelé que l’installation dans un centre commercial implique l’acceptation d’un risque commercial, l’accord des parties ne portant pas sur des locaux à la commercialité éprouvée mais seulement escomptée (D. Boccara, les centres commerciaux et les loyers du marché, Ajpi 1983, p. 379) ». (CA Versailles, 20 septembre 2018, n° 18/00712).
Retour donc à la jurisprudence de la Cour de cassation du 11 mai 1995 évoquée ci-avant, tout en retenant une obligation d’entretien des parties communes du centre, ces dernières étant considérées comme étant l’accessoire nécessaire de la « chose louée ».
La Cour d’appel de Versailles ne semble d’ailleurs pas s’être intéressée aux moyens mis en œuvre par le bailleur pour assurer un environnement commercial favorable au sein du centre. Cette position a été appuyée par un arrêt récent rendu par la Cour de cassation précisant qu’à défaut de stipulation particulière, le bailleur n’est pas tenu d’une obligation de garantir la commercialité de la galerie marchande (Cass. civ. 3e, 11 avril 2019, n° 18-12076).
b) Bourges
De la même manière la Cour d’appel de Bourges indiquait : « Il est de jurisprudence constante que le bailleur n’est nullement le garant de la commercialité d’un centre commercial mais est seulement tenu, en l’absence de stipulation particulière, d’assurer la délivrance, l’entretien et la jouissance paisible de la chose louée […]. Le fait que plusieurs boutiques du centre commercial où se situent les locaux donnés à bail aient dû fermer du fait notamment d’un achalandage insuffisant, à le supposer avéré, ne caractérise nullement de manquement de la Sas Carmila France à ses obligations contractuelles (notamment de délivrance, d’entretien et de garantie de jouissance paisible des lieux donnés à bail), ni de mauvaise foi de sa part dans leur exécution, le bailleur n’étant en aucun cas garant de la commercialité du centre commercial sauf stipulation contractuelle en ce sens.» (CA Bourges, Ch. Civ., 11 juillet 2019 n° 18/01521). Une nouvelle fois, la Cour d’appel de Bourges n’a pas retenu d’obligation pour le bailleur d’assurer un environnement commercial favorable à défaut de stipulation expresse dans le bail.
c) Paris
Par ailleurs, par un arrêt rendu le 26 septembre 2019, la Cour d’appel de Paris rappelle brièvement que la société locataire «n’explique pas en quoi la société Uni-Commerces peut être tenue responsable notamment du fait de sa gestion des parties communes, de la baisse de la commercialité invoquée, qui peut déprendre, à la supposer établie, de multiples facteurs qui ne relèvent pas nécessairement de son obligation de délivrance» (CA Paris, 26 septembre 2019 ; P.1 Ch. 2, n° 19/04973).
d) Caen
La Cour d’appel de Caen, va même encore plus loin.
Elle rappelle dans un premier temps qu’à défaut de clause expresse dans le bail, le bailleur n’a aucune obligation de maintien d’un environnement commercial favorable au sein du centre.
En outre, elle précise que le preneur avait contractuellement accepté les aléas économiques inhérents au centre commercial.
Enfin, la Cour d’appel de Caen indique que l’allègement temporaire de loyer octroyé au preneur par le bailleur, n’implique nullement une reconnaissance par ce dernier, d’une faute commise par celui-ci au titre notamment de l’animation, la promotion, la publicité ou encore sur la commercialité du centre. (CA Caen 3 octobre 2019, 2eme chambre civile et commerciale, n°18/03402)
Ainsi, l’analyse de la jurisprudence contemporaine semble désormais exclure, en l’absence de clause expresse dans le bail, une quelconque obligation de maintien d’un environnement commercial favorable. Les bailleurs n’ont donc à l’égard des preneurs qu’une obligation se limitant à la délivrance, l’entretien et la jouissance paisible de la « chose louée », laquelle correspond à la seule cellule donnée à bail et par extension aux allées communes du centre, « accessoires nécessaires à la chose louée ».
Il semble donc que les juges n’ont pas souhaité étendre l’article 1719 du Code civil au-delà de sa portée, laquelle ne s’est limitée qu’à la lecture stricte du texte. Ces décisions permettent d’assurer ainsi une certaine prévisibilité contractuelle entre les parties, dès lors que l’évolution commerciale au sein d’un centre peut résulter d’autres facteurs extérieurs (économiques ou non) dont le bailleur n’a pas la maîtrise.
André JACQUIN
Avocat à la Cour
Vice-Président du CNCC
Président de la commission juridique du CNCC