Deux cents millions d’euros pour les entrées de ville : l’éclairage d’Antoine Frey, Olivier Sichel et Anne-Sophie Grave

20.12.2022
La vie des sites commerciaux

Alors que le projet de transformation des entrées de ville semble se concrétiser sous l’impulsion de la Ministre du Commerce, le partenariat entre le groupe FREY, la Banque des Territoires et CDC Habitat annoncé le 6 décembre s’inscrit pleinement dans l’ambition de réaménager les périphéries. Antoine Frey, Anne-Sophie Grave et Olivier Sichel ont accepté de répondre à nos questions, pour vous proposer un éclairage inédit sur ce partenariat.

La société de projets constituée par Frey, CDC Habitat et la Banque des Territoires (Caisse des Dépôts) opère une petite révolution dans la manière de concevoir l’aménagement urbain. Sur la base d’un partenariat d’une durée de 20 ans, le véhicule de portage créé sera doté de pas moins de 200 millions d’euros. Cet outil qui sera mis au service des collectivités dans la transformation de leurs territoires, se pose comme une réponse à la conjonction de diverses problématiques de notre pays, avec d’une part, une offre de logements largement insuffisante et d’autre part, de nombreuses zones commerciales de périphérie déstructurées.
A l’heure de la Zéro Artificialisation Nette, la transformation de ces entrées de villes représenterait selon la foncière Frey un potentiel de l’ordre de « 243 zones commerciales de périphérie » pour « un gisement de fonciers artificialisés de 55 000 ha représentant à terme un potentiel théorique d’environ 70 millions de m2 de densification à usages mixtes ».

Ce partenariat pourrait ainsi permettre la création d’un million de logements sur le long terme, contribuant ainsi à l’impératif de régulation des prix du marché et de qualité de l’habitat, tout en proposant aux collectivités un levier pour la recomposition de leurs territoires et pour une transformation écologique de ces derniers.
Transformer les problématiques contemporaines en opportunités, au service des territoires et de ses citoyens sera donc l’objectif de ce véhicule, dont nous avons souhaité connaître les orientations et les méthodes plus en détails.

Quelles sont les motivations propres à votre structure qui vous ont incitées à créer ce véhicule collectif ?

Anne-Sophie Grave, Présidente du directoire de CDC Habitat : En qualité d’opérateur global de l’habitat d’intérêt public, nous sommes fortement engagés pour produire des logements neufs et concevoir avec les collectivités des quartiers de demain, mixtes, inclusifs et durables, notamment dans les zones les plus en tension.

Aux côtés de la Banque des Territoires et du Groupe Frey, CDC Habitat vient apporter ses compétences en habitat et renouvellement urbain pour mener à bien les projets. Nous avons deux convictions qui viennent nous conforter dans cette démarche :

  • La nécessaire recomposition urbaine dans le contexte du ZAN : le commerce peut « s’urbaniser » dans le cadre d’une programmation mixte incluant du logement. Le défi consiste à transformer les zones commerciales d’entrées de ville en véritables quartiers de ville, et la transformation de ces quartiers est une nécessité si on veut atteindre les objectifs du ZAN ;
  • La production de logements demain se fera davantage par la reconversion de fonciers :  CDC Habitat prend aujourd’hui des positions de plus en plus en amont dans le montage de projets complexes. Or les projets de recomposition commerciale appelleront un mode opératoire de portage foncier et de co-promotion.

CDC Habitat interviendra dans les phases de portage, de co-promotion et jouera le rôle d’investisseur logement (logements sociaux, logements abordables, logements intermédiaires et résidences gérées et projets d’accession sociale).

Antoine Frey, Président Directeur Général de Frey : Nous partageons, avec la Banque des Territoires et CDC Habitat, une vision et une ambition commune pour accompagner les territoires dans leurs nouveaux défis, ces derniers étant confrontés notamment à une poursuite de leur développement, dans un contexte national où la politique du Zéro Artificialisation Nette s’impose. Ainsi, toutes les grandes agglomérations françaises sont aujourd’hui confrontées à la même problématique de restructuration de leurs entrées de ville commerciales. Nées dans les années 80, avec pour seule vertu la praticité, ces zones commerciales périurbaines sont à la fois des succès économiques, génératrices d’emplois et de chiffres d’affaires, mais également des échecs urbains. Ces zones ne correspondent plus aux attentes ni de la société, ni de ces collectivités qui souhaitent donc voir ces zones monofonctionnelles se transformer.

FREY, en tant que 1er opérateur français spécialisé dans le renouvellement urbain et commercial des entrées de ville, souhaite ainsi au travers de son ingénierie opérationnelle mettre ses savoir-faire au service du développement de ces territoires. Cela passera entre autres par la requalification des espaces publics existants, la rénovation de voiries, la création de nouveaux accès, de pistes cyclables, d’aménagements paysagers… ; le développement de nouvelles polarités commerciales et d’une nouvelle densité et mixité urbaine proposant différents usages (logement, hôtellerie, bureau, ou logistique) dans ces nouveaux morceaux de ville.

Olivier Sichel, Directeur de la Banque des Territoires : La mission de la Banque des Territoires, en tant que partenaire privilégié des collectivités et œuvrant pour l’intérêt général, est de lutter contre les fractures territoriales et de contribuer au développement économique des territoires. Notre rôle est de proposer un accompagnement, des outils et des financements permettant aux élus de faire face à leurs enjeux de réaménagement de leur territoire mais également d’attractivité et d’offre de logement, dans un contexte de zéro artificialisation, critère essentiel puisque la priorité de la Banque des Territoires est de contribuer activement à la transformation écologique et énergétique du pays.

Ce partenariat illustre la capacité de la Banque des Territoires à s’associer avec des partenaires, publics et privés, pour concevoir des dispositifs répondants aux besoins spécifiques et opérationnels des élus. En capitalisant sur la complémentarité des compétences des trois partenaires, nous avons conçu une solution concrète pour accélérer la transformation des zones commerciales périurbaines en quartiers mixtes plus attractifs.

A quoi va servir exactement l’outil opérationnel sous forme de SAS que vous venez de créer ?

Anne-Sophie Grave : Il vise à transformer les zones commerciales périurbaines en nouveaux quartiers à usages mixtes, parfaitement intégrés à leur territoire et à répondre aux grands enjeux climatiques d’aujourd’hui. Ce nouveau dispositif proposera aux collectivités des solutions concrètes et expérimentales pour réaliser ces projets de reconversion de zones commerciales périurbaines passant par : l’acquisition de fonciers, la démolition, la dépollution, le remembrement, l’aménagement et la revente de fonciers réaménagés.

Antoine Frey : Pour accompagner les collectivités dans la mutation de ces emprises, il semble pertinent de pouvoir élaborer une solution innovante permettant de se faire rencontrer l’offre que représente ces zones, aux demandes des territoires, notamment dans la production de logements.

Ce partenariat vise à mettre en place une nouvelle méthodologie au travers de la création d’une société de portage foncier d’une capacité initiale de 200 M€ (investissement total après application d’un effet de levier de 50%) pour réaliser ces projets de reconversion de zones commerciales périurbaines passant par : l’acquisition de fonciers, la démolition, la dépollution, le remembrement, l’aménagement et la revente de fonciers réaménagés.

Olivier Sichel : En collaboration avec les collectivités et en cohérence avec leur stratégie de réaménagement du territoire, nous allons, par l’intermédiaire de ce fonds (ou foncière) acquérir du foncier dans des zones commerciales en entrée de ville puis le transformer (démolition, dépollution…), le réorganiser et le gérer pour en faire des lieux mêlant logements, bureaux, services, pôles de santé, lieux associatifs, culturels ou sportifs, pour améliorer la qualité de vie des habitants. Nous assurerons notamment le travail d’ingénierie et d’étude préalables, dont les collectivités ont tout particulièrement besoin pour définir et concevoir les projets les plus prometteurs pour leur collectivité.

Avez-vous déjà identifié les premiers sites pouvant faire l’objet d’opérations immobilières mixtes ?

Tous : Oui. Nous avons calibré la capacité initiale d’investissement de 200 M€ sur la base de 7 sites. La première sera initiée dès le premier trimestre 2023.

Existe-t-il une zone type propre à ces opérations ?

Anne-Sophie Grave : Principalement les zones commerciales périurbaines de grandes agglomérations françaises. Le panel des sept premiers sites recensés permet d’aborder des configurations différentes de zones commerciales périphériques (présence ou non d’un Hyper, formats commerciaux différents). Ces zones ont en commun une localisation adéquate pour permettre la réalisation de projets urbains mixtes.

Olivier Sichel : Cet outil est avant tout destiné aux grandes agglomérations puisqu’il vise les zones commerciales péri-urbaines vieillissantes, rattrapées par l’urbanisation, connectées aux transports et surtout tendues en logements. Il pourrait être étendu et adapté aux villes moyennes en forte croissance démographique dans un deuxième temps.

S’agit-il de cibler uniquement des fonciers aujourd’hui dédiés aux activités commerciales ?

Anne-Sophie Grave : La foncière aura vocation à acquérir directement des actifs commerciaux existants ciblés pour les projets de reconversion.

Olivier Sichel : Oui, cet outil cible les zones commerciales en activité puisque le commerce est un des piliers indispensables pour renforcer l’attractivité d’un quartier ou d’un cœur de ville. Le but est de préserver les commerces déjà en place en les transférant dans les futurs projets en pieds d’immeuble sans rupture d’activité pour créer des rues commerçantes.

Antoine Frey : Oui et l’évolution de ces zones commerciales répond à plusieurs enjeux.

Il s’agit en premier lieu d’accompagner la transformation des territoires et traiter notamment les dysfonctionnements urbains et architecturaux de ces entrées de ville. Et pour ce faire il convient d’imaginer leur transformation en nouveaux quartiers mixtes.

L’enjeux écologique traversant tous ces enjeux, il s’agira d’améliorer la biodiversité, le développement de la nature en ville, de traiter les îlots de chaleur, de développer les mobilités douces et de produire des bâtiments à faible impact carbone et à forte qualité environnementale et d’usage. Tout en sachant que ces zones qui restent encore plébiscitées par les consommateurs, 72 % des dépenses des Français dans le commerce sont réalisés dans ces entrées de ville, doivent nécessairement s’adapter aux nouvelles tendances et modes de consommation.

Actuellement, de nombreuses zones commerciales conservent de véritables facteurs d’attachement : une faible vacance (malgré la pandémie), une bonne accessibilité et une offre de stationnement en adéquation avec les besoins des différents utilisateurs (commerçants et consommateurs).

Changer les formes urbaines de ces espaces encore en activité est probablement l’action la plus compliquée à réaliser et nécessite une ingénierie opérationnelle très fine permettant de préserver au maximum l’attractivité commerciale. Cette notion de commerce « vivant » est primordiale à intégrer dans l’équation économique au risque de la rendre impossible à résoudre.

Comment envisagez-vous la collaboration avec les collectivités ?

Anne-Sophie Grave : Ce partenariat vise l’accompagnement et l’accélération des projets urbains portés par les collectivités. Une concertation et un travail étroit avec les élus est indispensable pour la réussite des projets. Les outils d’aménagement des collectivités sont également amenés à jouer un rôle important.

Antoine Frey : Le partenariat vise l’accompagnement et l’accélération des projets urbains portés et soutenus par les collectivités. Une concertation et une collaboration avec les élus est indispensable pour la réussite des projets. Un certain nombre de territoires ont déjà établi ce constat mais se retrouvent dépourvus d’outils opérationnels répondant aux enjeux de ces requalifications.

Olivier Sichel : Nous travaillons quotidiennement avec les collectivités et directement sur le terrain grâce à nos 16 directions régionales. Les projets qui vont émerger seront co-construits avec les collectivités. Concrètement, nous allons leur proposer les opportunités issues du diagnostic réalisé par Frey. Parallèlement, les collectivités pourront nous solliciter pour étudier des zones commerciales spécifiques de leurs territoires pour tester la faisabilité de futurs projets de transformation.

Pour les opérations de réaménagement, Frey et CDC Habitat seraient-ils seuls promoteurs, ou bien souhaiterez-vous vous associer à d’autres développeurs ?

Anne-Sophie Grave: Bien évidemment, il s’agira d’associer d’autres promoteurs.

Antoine Frey : Toutes les zones remembrées pourront donner lieu à des cessions de fonciers, au développement d’opérations mixtes de promotion intégrant du logement, du commerce, des services ou encore des bureaux. Les projets seront donc ouverts à de la co-promotion. CDC Habitat en qualité d’investisseur pourra avoir un droit de premier regard sur la production de logements. De la même manière pour FREY sur la partie commerce. Deux investisseurs potentiels dérisquant ainsi les issues de ces opérations.

Olivier Sichel : L’actionnariat du véhicule de portage que nous avons créé avec Frey et CDC Habitat est figé : 40 % Banque des Territoires, 30 % CDC Habitat et 30 % Frey. Mais les phases suivantes de la chaîne immobilière que ce partenariat couvre, c’est-à-dire la promotion et l’investissement final, sont souples et vont s’adapter aux besoins et particularités de chaque projet et chaque territoire. En phase promotion nous allons chercher des co-promoteurs spécialisés en logement, et d’autres équipements selon la programmation des projets conçus. En phase d’investissement final, nous nous positionnerons en tant qu’investisseurs sur les commerces pour Frey et la Banque des Territoires, et sur les logements en bloc pour CDC Habitat. La Banque des Territoires pourrait également se positionner en tant qu’investisseur sur d’autres classes d’actifs comme les bureaux, les résidences gérées, les hôtels, etc., avec d’autres co-investisseurs.

Comment ce partenariat s’intègre-t-il dans votre stratégie de développement ?

Anne-Sophie Grave : Les projets que nous conduirons aux côtés de la Banque des Territoires et du Groupe Frey s’inscrivent dans la continuité de notre stratégie foncière, définie dès 2021, pour intervenir plus en amont dans la chaîne de production et aujourd’hui répondre aux enjeux du ZAN, qu’il s’agisse de reconversion des entrées de ville commerciales, de recyclage de bâtiments, de reconversion de friches.

Olivier Sichel : La stratégie de la Banque des Territoires est d’accompagner le développement de nos territoires dans tous les domaines. Avec ce dispositif nous couvrons bien entendu le volet « développement immobilier », mais également les parties « commerces et « logement » essentielles pour les collectivités.
Par ailleurs, la priorité de la Banque des Territoires et d’œuvrer à la transformation écologique des territoires. Nous avons donc veillé à concevoir, avec CDC Habitat et Frey, un dispositif et qui sera garant du respect de l’exemplarité dans la conception et la construction de la ville sur la ville. Les futurs programmes seront conçus avec une exigence élevée en matière environnementale, et nous souhaitons intégrer la biodiversité, la nature en ville, le traitement des îlots de chaleur…

Quel a été et quel sera votre rôle dans la genèse et le futur de ce partenariat ?

Anne-Sophie Grave : La Banque des Territoires, CDC Habitat et le Groupe Frey jouent un rôle complémentaire dans la société de projet.

Ces projets de restructuration de zones commerciales d’entrée de ville appellent des montages qui vont au-delà du triptyque habituel des projet d’aménagement classique, à savoir : « Une initiative par la collectivité locale / Un aménageur / Des promoteurs ».
Le process que nous envisageons permet d’insérer « un étage intermédiaire » entre l’aménageur et le promoteur et de mettre en place un véhicule capable :

  • D’assurer la maîtrise foncière et le portage des actifs commerciaux ;
  • De gérer et assurer la transformation de ces actifs, en optimisant leurs recettes locatives ;
  • De céder le foncier réaménagé et remembré ;
  • De participer à l’élaboration des projets avec les collectivités locales.

Dans ces missions, le savoir-faire du Groupe Frey est essentiel pour mener à bien les projets.

Olivier Sichel : La Banque des Territoires est un partenaire financier de confiance des collectivités, en raison de sa proximité terrain avec les élus, mais également de sa solidité et stabilité financière. Ce partenariat est né tant d’une vision commune des trois partenaires quant aux enjeux de nos territoires et que de la complémentarité des savoir-faire afin d’être opérationnels et efficaces. Nous y occuperons un rôle de financeur et d’expertise.

Quels types d’offre commerciale ambitionnez-vous de créer dans le cadre des projets mixtes que ce partenariat doit vous permettre de monter ?

Antoine Frey : Les projets visent une mixité d’usages en mêlant les activités commerciales en socle actif avec d’autres usages, comme les logements, bureaux, coworking, services, pôles de santé, lieux associatifs, culturels ou sportifs, tiers lieux, tout en respectant la loi Climat et Résilience et son objectif de non-artificialisation des sols.

Une programmation spécifique sera travaillée et adaptée projet par projet afin de répondre au mieux aux enjeux spécifiques des territoires concernés.

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